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Le texte de cet entretien a été relu et amendé par M. Gaymard.
Vingt-trois ministres sont engagés dans la campagne des élections régionales et cantonales des 21 et 28 mars, dont vous-même. N'est-il pas inévitable de faire une lecture nationale des résultats ?
A l'occasion de chaque élection, il est toujours possible de tirer une interprétation politique. En tant que membre du gouvernement et compte tenu de tout ce qu'on entend, je pensais vraiment être interpellé et critiqué, au cours de la campagne, sur des sujets nationaux. Il n'en a rien été. Au contraire, j'ai reçu des messages d'encouragement sur le thème : "Tenez bon, continuez les réformes courageuses."
En même temps, je lis aussi les sondages et je constate qu'ils font état de l'intention d'un certain nombre d'électeurs de pratiquer le vote-sanction. C'est pourquoi, pour la première fois en sept campagnes électorales depuis dix ans, j'ai du mal à anticiper le résultat car les gens se livrent peu.
Ces élections doivent-elles permettre de rebattre les cartes et de changer de génération politique ?
Ce sont les électeurs qui décideront. Mais la politique, c'est d'abord une question d'envie. On peut avoir soif d'action quel que soit son âge. Et il faut avant tout faire croire à nouveau à l'intérêt général et à l'action publique.
Selon ces mêmes sondages, l'abstention et le vote extrémiste risquent d'être élevés.
Quand on a le sens de l'intérêt général comme moi, on ne peut ressentir cela que comme un échec cuisant. L'abstention et le vote extrême sont la traduction d'un désenchantement démocratique, d'une société qui envoie aux politiques un message d'indifférence, avec l'abstention, ou même un bras d'honneur, avec le vote extrême. Aucun gouvernement n'est parvenu à apporter une réponse à ce mal dont est frappée la France depuis le début des années 1990.
Après le 21 avril 2002, il semblait que le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, s'était donné pour tâche d'y remédier. A-t-il échoué ?
Pour venir à bout de cet état d'esprit, celui d'une société anxieuse et dépressive, déboussolée par la mondialisation, l'incertitude économique et la fin des idéologies, il faudra plus de deux ans. Nous avons entrepris un travail de longue haleine.
Un constat me frappe dans notre pays depuis une quinzaine d'années : sans doute pour la première fois depuis des siècles, parents et grands-parents redoutent que leurs enfants aient une vie plus difficile que la leur.
Les Français ne sont-ils plus capables de se mobiliser ?
Les engagements qui subsistent sont dirigés soit contre un projet, soit en faveur d'une cause unique. Il s'agit de mobilisations temporaires, circonscrites, et non pas en faveur d'une vision générale du monde.
L'insatisfaction des Français porte davantage sur des sujets de vie quotidienne - l'augmentation du prix du tabac, les contrôles de vitesse au volant, autant de décisions perçues comme une atteinte à l'autonomie individuelle - que sur les grandes réformes. Les politiques n'ont pas réussi à retisser les liens d'une société détricotée.
Vous appartenez pourtant à un gouvernement qui donne le sentiment d'accorder plus de prix à l'action privée et qui vante son efficacité, comme sur le dossier de la recherche.
Nous n'avons rien contre l'emploi public, mais nous voulons rompre avec quarante années de langue de bois. On ne répond pas à l'angoisse et à la précarité avec des emplois publics précaires ou complètement déconnectés des besoins économiques. C'est valable aussi pour les chercheurs, dont un certain nombre sont devenus des "intellectuels précaires", selon l'expression utilisée par Anne et Marine Rambach dans leur livre -Les Intellos précaires, Fayard, 2001-.
La succession d'Alain Juppé à la tête de l'UMP est ouverte. Comment et par qui doit être dirigé le parti ?
Les militants décideront. D'abord, l'UMP doit être un lieu de débat et de proposition, c'est la raison d'être d'un parti. Il doit structurer le débat au sein de la majorité, comme on l'a vu sur la laïcité. Il doit être capable de reconstruire un corpus idéologique dans notre société désordonnée.
Ensuite, l'UMP ne doit pas s'abîmer aujourd'hui sur la question liée à l'élection présidentielle de 2007. Il y a encore trois ans avant cela. Nos électeurs ne comprendraient pas que nous cherchions à répondre à une question qui ne se pose pas. La réorganisation des prochains mois doit avoir pour seul objectif de poursuivre le travail du quinquennat de Jacques Chirac.
Vous êtes candidat en Rhône-Alpes, où l'UMP a fait liste commune avec l'UDF dès le premier tour. C'est un modèle pour la majorité ?
Avec Anne-Marie Comparini -présidente UDF sortante de la région-, nous savions que nous aurions à réunir nos forces au second tour. Il nous a donc paru plus simple de nous allier dès le premier. Ce que j'ai ressenti sur le terrain, c'est qu'il y a de grandes différences entre les discours de matamore inacceptables de François Bayrou et le comportement des élus UDF, qui peuvent exprimer leurs différences mais sont loyalement et sincèrement dans une logique d'union pour gagner.
Propos recueillis par Hervé Gattegno et Christophe Jakubyszyn